Une psychologue au bout du fil
Le confinement peut être source d’anxiété. Anne-Gaëlle*, psychologue confinée à Saint-Denis, a lancé un service d’écoute gratuit et anonyme avec l’association B2V.
JdP – Comment avez-vous eu l’idée de mettre en place ce service ?
Anne-Gaëlle – Je suis psychologue et j’ai déjà de l’expérience dans des numéros verts d’appels de gens en souffrance. Je n’exerce pas dans l’île d’Oléron, Saint-Denis est mon village d’origine. Je suis rentrée pour voter aux élections et je me suis retrouvée bloquée donc je suis restée là. Ça me paraissait intéressant de proposer ce genre de service. J’ai eu un échange avec des pharmaciens de la commune, ça leur semblait utile car des personnes se présentaient en état d’anxiété. Ça s’est mis en place assez facilement fin mars avec l’association B2V (Bien vivre et vieillir à Saint-Denis-d’Oléron) qui a ce type de mandat. J’ai donc proposé mes services bénévoles à B2V**.
Quel est le but de cette ligne d’écoute ?
L’idée n’est pas de mettre en place une thérapie si la personne en a besoin. Cela permet de trouver une écoute et moi, je peux faire un diagnostic pour savoir si un appel une à deux fois par semaine suffit pour soulager leurs problématiques. S’il y a besoin d’une prise en charge plus importante, il faut qu’il y ait un relais. J’ai par exemple identifié le CMP (Centre médico-psychologique) de Saint-Pierre comme étant une structure relais si besoin.
Vous êtes seule pour répondre aux appels ?
Une équipe de trois thérapeutes s’est mobilisée pour m’aider. L’idée étant qu’il y ait des relais si il y avait beaucoup d’appels. Mais pour l’instant il y a à peine un appel par jour donc ça n’a pas encore été utile de les solliciter. Par contre les appels reçus ce sont des gens qui avaient vraiment besoin d’une écoute, donc c’est utile.
À quels types de problématiques faites-vous face ?
Essentiellement des deuils à faire à distance. On est complètement démunis parce que ça ne nous est jamais arrivé de dire au revoir à un parent et de ne pas pouvoir se déplacer ni d’aller l’enterrer. Et il y a des gens qui se retrouvent concrètement confrontés à ça, avec des parents en Ehpad qui ne sont pas dans la même région. Il faut les accompagner pour soulager cette détresse et cette culpabilité. Les gens sont tellement perdus qu’ils peuvent être un peu agressifs avec les personnels de santé. On met en place des choses sur un mode constructif avec la contrainte de la distance : appels visio, écrire une lettre que le personnel soignant va lire... L’accompagnement a vraiment lieu d’être, car moi je suis extérieure émotionnellement. J’ai eu aussi des personnes en confinement avec des personnes malades ou en fin de vie. C’est très difficile quand on n’a plus sa vie extérieure pour se changer les idées. J’essaye de mettre en place des choses pour verbaliser cette angoisse légitime. C’est compliqué à faire seul car les défenses humaines font que quand quelque chose est triste, on a tendance à l’éviter plutôt qu’en parler.
Affronter un deuil, c’est très difficile. Avoir le moral en dents de scie, est-ce une bonne raison pour vous appeler ?
Oui, bien sûr. L’anxiété est quelque chose d’assez normal en cette période. Elle prend des formes différentes selon la situation des gens s’ils sont isolés ou pas, si ils sont fragiles ou pas... J’ai eu par exemple une dame complètement paniquée parce elle ne trouvait pas de masque. Ça générait une grosse anxiété, elle vit isolée, en mobile home, pas d’Internet, un suivi médical qui s’est arrêté... Elle avait besoin de parler et en trois appels j’ai réussi à la mettre en connexion avec quelqu’un, à lui procurer des masques. J’ai répondu à un besoin qui était plus basique, entre guillemets, mais qui générait un état d’anxiété chez elle qui aurait pu la faire aller mal si elle n’était pas aidée. Je pensais avoir beaucoup d’appels liés à l’isolement dans le confinement mais pour l’instant je n’en ai pas. J’ai le sentiment qu’il y a tout un réseau d’entraide et de solidarité qui s’est mis en place dans l’île.
Parler de tout ça au téléphone, n’est-ce pas plus compliqué que de visu ?
Oui et non. Par téléphone, il y a une espèce d’anonymat. Pour certains qui auraient du mal à consulter un psychologue, le téléphone est plus léger dans la démarche. Ça peut être facilitant.
Ce service s’adresse à tous les Oléronais ?
Au début on s’était dit qu’on le réservait aux personnes habitant dans le nord de l’île parce qu’il peut y avoir un éventuel déplacement nécessaire si une personne est dans un état critique. Mais pour moi, ce n’est pas restrictif. Je ne demande pas aux gens d’où ils appellent.
* La psychologue préfère taire son nom de famille pour « ne pas se mettre en avant ».
** Service d’écoute gratuit et anonyme : 06 33 53 32 56