Ile d'Oléron - N°130 - Septembre/Octobre 2014

Ostréiculture : la crise perdure

Après les huîtres, les moules aussi connaissent une grave crise de mortalité. La profession accuse un manque de gestion et d’entretien du milieu. Parallèlement, le nouveau dossier pour l’implantation des filières conchylicoles dans l’anse de la Maleconche va être soumis à enquête publique en septembre. Entretien avec Gérald Viaud, président de la section régionale de la conchyliculture.

 

Où en est-on de la crise qui secoue depuis plusieurs années le milieu de la conchyliculture ?

Gérald Viaud, président de la section régionale de la conchyliculture - Ça continue, nous sommes en plein dedans. Ça meurt un peu partout dans le bassin.

Aujourd’hui, tout le monde est touché à plus ou moins grande échelle suivant le secteur et la date. Il n’y a pas de règle générale en la matière. Le plus difficile, c’est qu’il n’y a pas de moyen de prévenir. Nous sommes dans un milieu ouvert avec le jeu des courants et des marées. Nous n’avons pas de poudre de perlimpinpin, et fort heureusement, à répandre à la surface de l’eau et donc nous subissons les agressions extérieures qui arrivent dans le milieu.

Estimez-vous que certaines agressions pourraient être évitées ?

Oui, notamment si il y avait une meilleure gestion de l’eau et des apports d’eau douce et de meilleures pratiques agricoles dans les marais doux et un meilleur comportement sociétal. Nous sommes confrontés à des problèmes d’urbanisme, de gestion du pluvial, de l’assainissement. D’ailleurs, c’est pour cette raison que la France est condamnée, depuis 2012, pour sa gestion du pluvial. En l’espace de trois jours, du 11 au 13 août dernier, il y a eu douze alertes du réseau microbiologique Ifremer. Cela veut dire que nous avons des débordements du réseau d’assainissement, du réseau des eaux pluviales. Cela a des conséquences car nous sommes au bout du chemin.

 

Face à cette crise qui perdure vous avez mené différentes actions cet été. 

Beaucoup d’articles ont été rédigés. Nos actions ont été bien relayées. Mais, au final, qu’est-ce qui bouge ? Pas grand-chose. Lors de notre réunion publique du 8 juillet nous avons demandé un certain nombre d’actions au préfet qui a alors créé quatre groupes de travail (lire page 8). Nous devrions avoir une première restitution de tout cela au premier trimestre 2015. D’ici là, nous avons le temps de mourir comme il faut ! Nous ne sommes pas satisfaits de ces mesures puisque cela dépasse bien évidemment la préfecture du département. Dans toutes nos revendications nous demandons l’application des textes réglementaires des différentes directives européennes que la France a du mal à appliquer. En 2015, par exemple, nous devons avoir le bon état écologique des eaux, mais nous savons que nous ne l’atteindrons pas d’autant que des reports ont été demandés. Nous demandons qu’à chaque rejet d’eau douce, des analyses soient réalisées ainsi que des tests éco-toxicologiques pour prouver le bon état des milieux. Nous voulons aussi l’interdiction de rejet en mer des boues de dragage issues des ports commerciaux ou de plaisance… 

 

Etes-vous entendus sur ces revendications ?

Nous sommes entendus mais on verra dans l’application. Aujourd’hui, la profession dérange. Nous soulevons des questions qui dérangent sur la qualité des milieux, sur la qualité de l’eau, sur la qualité des sédiments.

 

D’autres actions sont-elles envisagées dans les prochaines semaines ?

Certainement. De nouvelles actions vont être mises en place, mais je ne vous dirai rien. Ce sera de plus en plus musclé. Nous allons aller à l’affrontement, c’est clair maintenant. Nous avons organisé trois manifestations suite à la réunion publique de la section régionale : sur le pont de l’île de Ré, au port de La Rochelle et à la préfecture, notamment. Deux opérations dissidentes, un déversement de coquilles, de palettes et de poches, ont été menées notamment devant l’Ifremer. C’étaient des manifestations gentilles  mais je pense que les prochaines seront peut-être moins gentilles.

 

Il n’y a pas eu d’actions spécifiques dans l’île d’Oléron. Volontairement ? 

L’occasion ne s’est pas présentée pour l’instant. Ce n’est pas volontaire. Le choix s’est porté à La Rochelle parce qu’il y a des autorités d’Etat, pas à Oléron... ça se saurait. Nous n’avons rien fait dans la Seudre, ou bien à Charron non plus. Notre cible, ce sont les services de l’Etat et les décideurs du département qui sont à La Rochelle.

 

Avez-vous quantifié le nombre d’ostréiculteurs qui abandonnent le métier ?

C’est difficile à quantifier. L’ostréiculture est un métier de production, pas de commerce pur. Ce n’est pas comme un commerce ou si vous n’avez plus de clients on baisse le rideau. Nous ne pouvons pas tirer la porte du jour au lendemain. Certains ont arrêté et d’autres misent aujourd’hui sur la diversification pour continuer à vivre. Tout le monde attend que cela soit spectaculaire, que 500 entreprises déposent le bilan et disparaissent. Mais je pense que cela ne fera même pas bouger les choses. On regardera alors avec délectation la filière disparaître pour laisser la place à d’autres.

 

Dans votre esprit, sont-ce les associations qui se battent contre la mise en place des filières conchylicoles dans l’anse de la Maleconche ?

Nous assistons aujourd’hui à la colonisation de notre territoire. Pourquoi pas ? Ils ont peut-être raison. C’est bizarre qu’ils ne se posent pas les vraies questions concernant la dégradation du milieu. Qui a construit dans les dunes ? Dans les forêts ? Qui drague les ports et rejette les boues au large des plages ? Voilà les questions que ces personnes doivent se poser.

 

Un nouveau dossier de la Maleconche vient d’être déposé. En quoi diffère-t-il du premier retoqué par le tribunal administratif en janvier dernier ?

Nous avons réduit la surface qui de 387 hectares passe maintenant à 250 hectares. Le projet prévoit un total de 313 filières, 197 pour les huîtres, 71 pour les moules et 45 mises en réserve pour des affectations futures auprès des jeunes entrants. Sachant qu’il en existe déjà 82 sur le site. Les couloirs de navigation ont été réaménagés pour permettre aux pêcheurs de pratiquer leurs loisirs. Quant aux déchets, des tonnes selon eux, qui devaient envahir les plages, force est de constater qu’avec les filières déjà en place ce n’est pas le cas. Donc ils mentent. Il n’est pas possible d’aller s’implanter ailleurs. Les études le prouvent. Il faut un sol suffisamment costaud. Je m’étonne que cette association ne se soit pas exprimée lorsque le port du Douhet a été dragué avec le largage des boues en mer. Si certains élus se mobilisent contre l’installation des filières, cela veut aussi dire  que cela leur pose un souci de larguer les boues de leur port dans une zone sanitairement déclassée. Une zone qui a de mauvais résultats microbiologiques.

 

Pourquoi vouloir vous y installer ?

Mais parce que c’est une zone d’élevage et non une zone de produits destinés à la consommation. Après on transforme ces produits par l’affinage et le passage dans les bassins de purification.

Beaucoup de personnes se mentent à elles-mêmes et l’issue sera fatale pour tous. Nous allons perdre nos activités primaires et nous perdrons alors nos activités touristiques. Les huîtres, les moules, les coquillages sont les sentinelles du milieu.

 

Avez-vous un espoir malgré tout ?

Oui, si on a le courage politique et une volonté de le faire. Est-ce que nos élus auront ce courage ? Quelle est l’issue de laisser le milieu se dégrader ? Faire un jour une piscine face à la plage pour se baigner dans une eau décantée, épurée ?

Les pêcheurs sont dans le même cas que nous. Ils ne pêchent plus de poissons sur le littoral. Il n’y a pas que les moules ou les huîtres, il y a les pétoncles, les coquilles Saint-Jacques. Les crabes meurent.

Mais il y a toujours des solutions : il faut faire du lagunage, il faut des pièges à molécules… il faut une véritable volonté politique sinon nous allons tout perdre. Aussi bien le tourisme que les activités primaires. Il faut une vraie gestion du territoire. 

 

Vous critiquez cette mauvaise gestion et la qualité médiocre des eaux mais vous, ostréiculteurs, que faites-vous pour le milieu ?

Nous, nous le respectons. Si nous ne le respectons pas ce sont nos activités qui vont en souffrir. Aujourd’hui, les agressions qui existent sont externes. Elles sont analysées et viennent des produits chimiques, des contaminants qui arrivent dans le milieu sans être décantés. Nous entretenons le territoire par obligation pour notre profession. Si nos anciens ont mis en place le drainage des marais doux et salé c’était pour mieux y vivre. Si tout ça n’est pas assez entretenu ou si nous installons des activités qui n’y sont pas adaptées alors nous allons à la catastrophe. Toute la gestion hydraulique du département a été déstabilisée pour une agriculture inadaptée à notre territoire. Et pourtant nous avons un arsenal de protection environnementale…


La réponse préfectorale...

Le 18 août, Béatrice Abollivier, la préfète, a installé un groupe de travail réunissant les services de l’Etat, les élus et les professionnels, afin d’étudier les dix propositions d’actions du comité régional de la conchyliculture pour rétablir les fonctions écologiques des estuaires et des marais doux de la Charente-Maritime. Les propositions concernaient : l’identification de tous les exutoires d’eau douce à la mer ; l’aménagement des marais doux ; l’arrêt immédiat des rejets en mer des boues de dragage des ports de plaisance ; le contrôle des rejets des stations d’épuration ; la mise en œuvre des mesures visant à atteindre les objectifs de la directive cadre sur l’eau ; le lancement d’une étude pour déterminer l’influence des différents facteurs environnementaux sur les mortalités des coquillages ; la mise en place d’un programme de réhabilitation et de gestion des gisements naturels coquilliers classés en Charente-Maritime ; la réalisation de dispositifs locaux de traitement des eaux pluviales avant leur rejet dans le milieu ; le réaménagement du marais salé ; l’application stricte par l’Etat du périmètre de protection autour des établissements conchylicoles et des gisements coquilliers.

Plusieurs réponses ont d’ores et déjà pu être apportées, comme par exemple, et pour chaque proposition : la réalisation d’une cartographie des stations d’épuration ; des actions d’acquisitions foncières ou d’échanges de parcelles agricoles les plus contraignantes vis-à-vis de la gestion de l’eau sont engagées en vue de modifier l’occupation du sol des zones les plus basses, pour redonner au marais sa vocation de zone tampon ; la mise en place prochaine d’un site de traitement à terre des sédiments pollués prévu au grand port maritime de La Rochelle ; lors du renouvellement d’autorisation ou de la création de nouvelles stations d’épuration les services de l’Etat demandent aux maîtres d’ouvrage de trouver des solutions alternatives au rejet en mer ou en estuaire comme à Charron ou Fouras ; afin que les masses d’eau estuariennes et littorales atteignent un bon état en 2015, des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ont été développés pour déterminer des actions qui peuvent être menées pour préserver la qualité de l’eau, comme par exemple la création d’aires techniques dans les ports ; le principe de mise à disposition, aux côtés du Comité régional de la conchyliculture, d’un expert épidémiologiste a été acté ; en accord avec les organisations professionnelles, l’exercice de la pêcherie a été redéfini ; tout nouveau projet se traduisant par des rejets fait l’objet d’un examen préalable par la police de l’eau qui vérifie que le traitement des eaux est adapté aux capacités du milieu. Les rejets existants antérieurs à la loi sur l’eau (1992), s’ils ne sont pas compatibles avec le milieu aquatique, font l’objet d’une planification de travaux encadrés au titre de la loi sur l’eau...

Sur les sujets de préoccupation relevant du niveau national, les ministres concernés vont être saisis par la préfète, notamment pour demander la prise en compte de l’impact des produits phytosanitaires sur le milieu marin et généraliser les analyses éco-toxicologiques.

Au plan départemental, une action spécifique sera menée en lien avec les collectivités locales et les acteurs concernés (syndicat des eaux, ARS…) pour améliorer les réseaux d’eaux pluviales et d’assainissement. Un travail sur la gestion hydraulique des marais sera également mené en lien avec les agences de l’eau pour mettre en œuvre les contrats territoriaux des milieux aquatiques (CTMA). Enfin, l’Etat sensibilisera les maires à l’intérêt d’élaborer des schémas directeurs d’eaux pluviales (outils de gestion qui permettent de diagnostiquer les rejets d’eaux pluviales et de planifier les travaux d’amélioration nécessaires) ainsi qu’à l’intérêt de maintenir les fossés régulateurs des milieux et d’en limiter le busage.


La crise en quelques dates

En 2008, 2009 et 2010 : Mortalité massive des juvéniles

En 2011 : Premières alertes dans le demi-élevage, sur des huîtres de 15 à 18 mois. L’Etat met en place un accompagnement sur trois ans.

En 2012 : Début des mortalités sur les huîtres adultes

En 2013 : 10 000 tonnes d’huîtres sont mortes sur les parcs. Valeur estimée à 50 M€ 

En 2014 : Au début de l’année, 12 000 tonnes de moules sont mortes pour une valeur de 20 M€. Début de l’été, retour de la mortalité chez les huîtres adultes qui peut être estimée, là encore, à 50 M€. «Cet argent, souligne Gérald Viaud, n’est évidemment pas réinvesti dans la consommation. De plus, la main-d’œuvre est menacée. D’abord, les précaires, mais maintenant aussi nos permanents que nous sommes obligés de licencier.» 

 

 

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