Oléron terre d’accueil des enfants réfugiés espagnols (2)
La guerre civile en Espagne, commencée à partir de 1936, engendre un grand flot de mouvement de population notamment sur le front nord du pays où se déroulent d’importantes opérations militaires. De nombreux réfugiés espagnols, adultes et enfants, débarquent en France. Il faut alors les héberger. L’île d’Oléron accueille à partir de 1937 des centaines d’enfants jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale.
En février 1939, il se forme sur l’île d’Oléron un comité d’entraide aux réfugiés espagnols présidé par M. Bourdet, également vice-président de la Ligue des droits de l’homme à Saint-Pierre. Outre le comité central, le comité a des correspondants privilégiés au Château, à Saint-Trojan, Dolus, Saint-Denis et Saint-Georges. Ainsi l’île d’Oléron se dote d’une entité qui est l’interlocutrice privilégiée entre les structures d’accueil et la préfecture.
La maison Heureuse est la première à accueillir des réfugiés espagnols dès 1937 après la première importante vague de départ. Ils sont 579 enfants et 46 adultes espagnols pour les encadrer à Boyardville en mars 1939 en provenance pour la plupart de la colonie de Llansa en Catalogne, proche de la frontière française. Le comité d’accueil aux enfants d’Espagne demande au préfet du département d’accorder une carte de travail à Paula Feldstein qui assure la direction de la colonie de Boyardville depuis 1937. Infirmière et ancienne directrice de la colonie de Llansa, elle est arrivée en France en accompagnant les enfants de cette colonie.
Le deuxième foyer des jeunes réfugiés espagnols se trouve à l’abbaye de l’Ormeau, située à Saint-Denis, à l’origine une œuvre de cure marine pour enfants fondée en 1920 par l’Œuvre d’éducation physique et morale. Le 1er mars 1939, le directeur de la colonie envoie au préfet quelques photos montrant la fête donnée par les 415 réfugiés espagnols dans l’après-midi de Mardi gras à la population oléronaise. A l’approche de l’été se pose la question du maintien des réfugiés espagnols dans les colonies ou de leurs affectations dans d’autres lieux afin de libérer les différentes colonies pour pouvoir accueillir les petits français durant les vacances estivales à qui on donne la préférence. Le préfet, dans une lettre du 27 mars au ministre de l’Intérieur, demande «si je puis dès maintenant prendre, d’accord avec mes collègues de la frontière, des dispositions voulues pour leur rapatriement. L’évacuation des locaux serait d’autant plus souhaitable que la saison approche où les colonies de vacances françaises vont occuper les locaux.» C’est dans le même esprit que le ministre de la Santé publique demande dans un courrier daté du 31 mars au préfet de bien vouloir prévoir un autre hébergement pour les enfants espagnols de la Maison Heureuse car cette dernière doit accueillir 750 petits français durant l’été.
La commission d’aide aux enfants espagnols réfugiés en France indique au préfet les dispositions prises pour la Maison Heureuse : «Nous avons l’honneur de vous confirmer notre lettre du 9 courant concernant une partie des enfants de la colonie de Llansa (80 environs) hébergés actuellement à Boyardville, île d’Oléron. Nous avons loué pour leur hébergement une ferme située à Chéray, commune de Saint-Georges , mais cet immeuble exigeant une remise en état, nous avons demandé à M. Fauconnet, directeur de l’union de Coopérateurs, à Paris, propriétaire de la Maison Heureuse à Boyardville, de bien vouloir autoriser les enfants, dont la liste a été communiquée à la direction de la colonie scolaire, à séjourner pendant les huit ou dix jours nécessités pour les réparations. Monsieur Fauconnet nous a donné son accord par téléphone.» Le 17 juin, les enfants de la colonie de Llansa sont transférés vers Chéray. Les enfants ne pouvant pas être logés dans cette ferme sont redirigés vers l’île de Ré. Pour faciliter l’arrivée des enfants à Chéray, le préfet demande au général commandant la 18e Région militaire de mettre à disposition de Mme Feldstein une corvée de la Compagnie disciplinaire du Château-d’Oléron pour nettoyer les bâtiments de Chéray.
La directrice de la colonie de l’abbaye de l’Ormeau écrit également au préfet le 6 juin 1939 dans le but de libérer la colonie pour pouvoir accueillir les petits français qui viennent chaque été en colonie de vacances dans l’île d’Oléron. La directrice trouve elle-même une solution alternative pour les petits réfugiés espagnols en proposant de les déplacer dans un autre centre de son association, le Moulin du Frêne, situé à proximité, à un kilomètre de Saint-Denis. Depuis deux ans des travaux importants y ont été effectués pour pouvoir recevoir une nouvelle colonie et les 340 petits espagnols de l’abbaye de l’Ormeau pourraient y loger. «Du fait que nous avons réservé entièrement l’établissement du Moulin du Frêne à l’hébergement des réfugiés espagnols, et fait certains frais dans cet établissement, nous n’avons pas de hâte particulière à le vider des réfugiés espagnols, puisque nous avons pris toutes nos dispositions pour ne pas y mettre de colonie de vacances cet été. Au contraire, le chiffre optimum pour l’effectif de cet établissement se plaçant entre 340 et 390, je me permets de vous signaler qu’il pourrait y avoir éventuellement là encore un certain nombre de places libres pour des réfugiés espagnols», écrit la directrice le 27 juin 1939. Cette solution est accueillie favorablement par la préfecture.
Fin mai 1939, ils sont encore 495 enfants réfugiés espagnols à la Maison Heureuse et 344 à l’abbaye de l’Ormeau, en grande partie des enfants de 4 à 18 ans originaires de Catalogne. Le transfert avant l’été s’effectue. Ils sont 96 à Chéray (choix satellite de la Maison Heureuse) et 367 au Moulin du Frêne (pour l’abbaye de l’Ormeau) au 13 juillet. Les autres enfants ont été transférés vers d’autres centres et d’autres camps. Certains vont à proximité sur l’île de Ré, à la Couarde-sur-Mer ou aux Mathes tandis que d’autres sont orientés vers Montmorency.
Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, les départs massifs d’enfants s’intensifient. Ce sont principalement les enfants orphelins ou séparés de leurs parents qui rentrent en Espagne. Le préfet écrit au consul d’Espagne à Bordeaux le 12 octobre 1939 que «232 enfants espagnols provenant des colonies de l’abbaye de l’Ormeau et de Chéray ont été rapatriés par Hendaye le 8 octobre. Je me propose de rapatrier prochainement les enfants des autres colonies.» Début janvier 1940, la colonie de Chéray demande de surseoir au transfert des derniers réfugiés vers le camp de Monguyon. Finalement, ce n’est que vers la mi-avril 1940 que les derniers enfants sont transférés à l’école de plein air de Pax Colony à Andernos (Gironde) par la Commission internationale d’aide aux enfants réfugiés basée à Paris.
«Pour la majeure partie des enfants qui résidèrent dans cette colonie, le séjour sur l’île d’Oléron apparaît dans leur mémoire comme un moment paisible de bien-être. L’absence de la guerre et de bombardements sur l’île a été retenue par eux comme le fait le plus marquant de cette nouvelle résidence», évoque Cécile Chartier le 11 octobre 2012 lors de la commémoration de cet événement en présence d’une délégation espagnole pour l’inauguration de l’exposition «Les Enfants basques réfugiés à Maison Heureuse - 1937, 1938, 1939» à la médiathèque de Saint-Georges.
Photo : Les réfugiés espagnols dans la cour de l’abbaye de l’Ormeau. (DR AD-CM, 5M6)
Christophe Bertaud
Mai/Juin 2024
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