Les écluses à poissons dans l’histoire
Oléron comme les îles de Ré et de Noirmoutier a la particularité de posséder sur ses rivages des écluses à poissons également appelées pendant longtemps des pêcheries. L’objet même de ces écluses est de pouvoir piéger et pêcher du poisson, économie vitale pendant des siècles pour l’alimentation et la subsistance des Oléronais.
Si les écluses à poissons sur Oléron et cette méthode de pêche remontent probablement au Moyen Age, il est très difficile d’en établir les origines précises et leur nombre. Les pêcheries ne dépassent pas la quinzaine d’unités jusqu’à la fin du XVe siècle. Claude Chastillon, architecte, ingénieur et topographe au service du roi de France Henri iv, est le premier à faire figurer sur une carte de l’île d’Oléron, publiée en 1627, la présence d’écluses à la pointe de la Chardonnière, à celle des Trois-Pierres et à la pointe de Chassiron. Même si sa représentation n’est pas exacte et les proportions fantaisistes et partielles, il n’en demeure pas moins que cette représentation symbolique démontre l’importance que prennent alors les pêcheries dans le paysage oléronais. Il faut attendre Colbert et ses grandes réformes économiques, dont la grande ordonnance sur la Marine de 1681, pour avoir un texte règlementaire sur «De la pêche qui se fait en mer». Le titre III Des Parcs & Pescheries définit clairement la forme des écluses. «Les parcs de pierres seront construits de pierres rangées en forme de demi-cercle, et élevés à la hauteur de quatre pieds au plus, sans chaux, ciment ni maçonnerie ; et ils auront dans le fond du côté de la mer une ouverture de deux pieds de largeur qui ne sera fermée que d’une grille de bois ayant des trous en forme de mailles d’un pouce au moins en carré, depuis la Saint-Rémy jusqu’à Pâques, et de deux pouces en carré depuis Pâques jusqu’à la Saint-Rémy.»
En 1727, près d’un demi-siècle après l’ordonnance de Colbert, Le Masson du Parc, inspecteur général des pêches du royaume de France, se livre à une grande enquête afin de vérifier si les ordonnances royales sur la pêche sont bien appliquées. Il souhaite répondre plus particulièrement à ces questions : qui pêche ? comment et quoi ? Son enquête le mène sur les rivages d’Oléron. A Dolus, il remarque que «sur le territoire de cette paroisse commencent les premières écluses qui sont à l’entour de l’isle d’Oléron tant à la grande que sur la petite coste. (…) Ces écluses sont fortes de différentes figures : les unes sont d’un carré irrégulier, d’autres en demi-cercle et d’autres en demi-ovale.» Les conclusions de Le Masson du Parc font ressortir trois idées importantes. Les écluses bâties sur des fonds rocheux ne nuisent nullement à la reproduction des espèces. Elles servent également à la protection du rivage, «la conservation des costes de cette isle donnerait même s’il était possible que le nombre en fût augmenté de manière que toute la coste en pût estre couverte pour luy servir de digue, pour rompre la brise et les lames qui mangent continuellement le terrain et qui minent insensiblement cette isle». Enfin les écluses sont également vues comme un moyen nécessaire à la subsistance de la population locale car tout le poisson pêché y est consommé sur place. A la fin du xviiie siècle, ce sont près de 150 écluses recensées autour de l’île d’Oléron.
En dehors d’enquêtes épisodiques, les écluses et les pêcheries vont faire l’objet d’une réglementation et d’une surveillance plus accrue de la part des autorités tout au long du xixe siècle. A partir de 1812, les écluses tombent sous la férule des Ponts et Chaussées. Il est alors rappelé la notion de domaine public maritime. L’estran ne peut être privatisé et seul un usage est alors consenti aux propriétaires-utilisateurs des pêcheries. Le décret-loi du 9 janvier 1852 sur la police de la pêche maritime côtière indique dans son article 2 qu’«aucun établissement de pêcherie, de quelque nature qu’il soit ; aucun parc, soit à huîtres, soit à moules, au dépôt de coquillages ne peuvent être formés sur le rivage de la mer, le long des côtes (…) sans une autorisation spéciale». Les écluses sont alors soumises à un régime d’exploitation qui va évoluer vers un régime d’autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public.
Les îles de Ré, Oléron et Noirmoutier font l’objet d’un décret particulier, celui du 21 décembre 1867 portant autorisation de construire des pêcheries à poissons. Il rappelle et décrit les conditions d’établissement des écluses et leurs grands principes. Elles seront autorisées si «ces établissements ne peuvent nuire à la conservation du poisson, gêner la navigation, ni entraver les opérations de sauvetage ou le libre accès des plages». Ces écluses jouent un rôle protecteur car «par suite de leur position avancée en mer et de la nature de leur sol, les îles de Ré, d’Oléron et de Noirmoutier sont plus exposées que le continent aux ravages de la mer que d’autre part, les murs des écluses en pierres ou pêcheries à poissons protègent les rivages contre les attaques du flot». De plus, ces pêcheries ne nuisent pas à la faune puisque «la plupart de ces îles ne peuvent servir d’asile aux poissons de jeune âge et que les pêcheries qui seraient établies ne sauraient nuire à la conservation des espèces». Les autorités administratives prennent d’infinies précautions lorsqu’il s’agit d’intervenir sur les questions touchant les écluses auxquelles la population est vivement attachée comme le prouve le fait suivant. En 1884, le commissaire général de la Marine s’inquiète que «dans ces derniers temps, plusieurs bâtiments sont venus s’échouer ou ont été retenus dans l’intérieur de certaines écluses à poissons situées à la pointe ouest de l’île d’Oléron au lieu-dit le Bout de Monde» et souhaite «examiner sur place, si les écluses en question constituent réellement, comme il le croit, un sérieux danger pour la navigation et s’il convient d’en demander la suppression au Ministère». En temps normal, une commission doit s’établir pour enquêter sur la question mais le commissaire général souhaite procéder différemment car «la présence seule de cette commission dans le pays serait certainement une cause d’agitation des plus vives parmi ceux, et le nombre est grand, qui ont leurs intérêts engagés dans l’exploitation de cette catégorie d’établissements de pêche». Un ingénieur de la Direction des travaux hydrauliques est seul envoyé pour faire son rapport en toute discrétion «et pour éviter de donner l’éveil à la population de l’île d’Oléron».
Car le produit de la pêche est essentiel pour la subsistance d’une grande partie de la population oléronaise. Parfois certaines surprises apparaissent comme le 3 septembre 1910 lorsque «des pêcheurs des villages de Chaucre et de Domino, visitant leurs écluses entre deux marées, trouvèrent dans l’une d’elles un cétacé vivant. N’ayant d’autres armes que leurs couteaux et leurs espadons (longues barres de fer servant aux propriétaires des écluses à tuer les poissons pris dans celles-ci) et obligés de s’en rendre maîtres entre deux marées, c’est-à-dire avant le retour des flots, ils le tuèrent avec ces instruments et le chargèrent sur une charrette pour l’amener au village.» L’animal, un cachalot pygmée rare de 3,30 m et près de 400 kg, est alors acheté par le Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle (JdP n° 108).
Le déclin du nombre d’écluses opérationnelles s’intensifie après la Première Guerre mondiale. L’interdiction formelle de toute nouvelle construction d’écluse en France en novembre 1947 sonne le glas. La coactivité est parfois difficile avec le développement important de l’ostréiculture et des loisirs balnéaires de masse.
La quinzaine d’écluses toujours en activité aujourd’hui permettent le maintien de ce patrimoine du littoral en perpétuel diminution depuis cinquante ans. Conserver la mémoire matérielle de ce «petit patrimoine maritime» fait l’objet aujourd’hui d’attentions particulières de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la région Poitou-Charentes. Les écluses sont peut-être appelées demain à jouer de nouveau un rôle économique et devenir aussi un produit touristique aménageable.
Pour en savoir plus :
Les écluses à poissons d’Oléron. Mémoire de pierre de Laurent Bordereaux, Bernard Debande, Nathalie Desse-Berset, Thierry Sauzeau, Geste Editions, 2009
Souvenirs de l’Ile d’Oléron : Les écluses à poissons de Philippe Lafon, 1993
Cinq écluses inscrites au titre des Monuments historiques
En juin dernier, cinq écluses des Sables-Vigniers ont été inscrites au titre des Monuments historiques. La seconde étape serait un classement... La commission nationale des sites a le dossier dans les mains. Mais d’ici là cette inscription est une vraie récompense pour l’Association écluses à poissons et pêches traditionnelles créée en 1985 par Guy Jugieau, décédé au mois d’août dernier à l’âge de 85 ans à Saint-Georges-d’Oléron. «Concrètement, souligne Nicolas Séguin, le président, l’inscription ne va pas changer beaucoup de choses. Par contre, c’est une reconnaissance supplémentaire auprès des élus et de la population sur la valeur de ce patrimoine que l’association défend et remet en état.»
Oléron ne compte plus que 17 écluses contre 72 en 1970 et près de 240 au milieu du XIXe siècle. «Outre les deux guerres, la disparition progressive des écluses est due aussi à l’essor du tourisme et au changement des modes de vie. L’écluse était essentiellement entretenue par des paysans à qui elle fournissait une source de revenus supplémentaires. Le départ des jeunes vers le continent a accentué le désintérêt et, ensuite, le mode de vie des salariés n’était plus compatible avec l’obligation d’un entretien régulier.»
Heureusement une poignée de personnes se sont «accrochées» à ces écluses et ont donc créé une association de sauvegarde. «Notre objectif est de mobiliser les élus à l’intérêt de ce patrimoine mais aussi la population oléronaise et touristique. Il s’agit là d’un symbole de l’identité oléronaise, un patrimoine vivant avec des techniques de construction bien particulières et aussi un ciment social indispensable. Notre premier rôle, à la création, a été d’informer sur leur existence et aussi de se battre sur le plan juridique pour faire réviser la loi qui interdisait le renouvellement des concessions.» Ainsi donc les écluses devaient être détruites. Le Conseil d’Etat a modifié le décret permettant ainsi leur maintien. «Aujourd’hui, 17 équipes de bénévoles passionnés travaillent sur chaque écluse restante, surtout au printemps et à l’automne lorsque la mer est calme. Actuellement, nous recherchons des soutiens financiers. En effet, certaines équipes ont besoin de transporter des pierres. Nous récupérons les pierres des anciennes écluses écroulées, lorsqu’elles ne sont pas trop loin des écluses en restauration nous utilisons les brouettes sinon il faut un tractopelle et cela coûte cher.»
Pour toute demande d’information : ecluses.oleron@gmail.com
Juillet/Août 2024
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