Histoire - N°167 - Novembre/Décembre 2020

Agrippa d’Aubigné et les guerres de religion au Château-d’Oléron (1586)

Les guerres de religion furent une période tragique et sanglante. Elles ont ravagé le royaume de France dans la seconde moitié du XVIe siècle où se sont opposés catholiques et protestants (ou huguenots). L’Aunis et la Saintonge furent particulièrement meurtris par ces guerres. Agrippa d’Aubigné ami du roi de Navarre, futur Henri IV, s’y illustra comme homme de guerre combattant et poète protestant. La prise du Château-d’Oléron par d’Aubigné reste un de ses grands faits d’armes et mérite d’être rappelée. 

Jean-Pierre Bessède

En 1586, les hostilités font rage entre les ligues catholiques et les huguenots. Les ligues contrôlent la région et ont des garnisons dans tous les forts et châteaux du pays. À la guerre s’ajoutent la peste et la famine qui déciment les provinces. 

Agrippa d’Aubigné commande alors plusieurs compagnies de l’armée huguenote. Devant la famine, il décide de conquérir l’île d’Oléron avec ses troupes et de s’y établir. En mars 1586, après avoir récupéré l’artillerie, les armes et les munitions du château de Soubise, il quitte Port-des-Barques et fait voile vers Oléron où il débarque aux abords de la Perrotine avec 750 hommes. 

Il prend facilement possession de l’île, les habitants et la garnison catholique n’ayant opposé que peu de résistance. Il récupère ainsi les vivres1 qui avaient été préparés pour le catholique François d’Espinay Saint-Luc, gouverneur de Brouage, qui devait se rendre prochainement en Oléron. 

D’Aubigné concentre alors le gros de son armée au bourg du Château où il élève en quelques mois une forteresse protégée par un double fossé. À cette nouvelle, pour déloger d’Aubigné, la ligue catholique réunit à Brouage une escadre de dix vaisseaux renforcée par des régiments venus de Saintonge, Saint-Luc se trouve ainsi à la tête de 5 000 hommes. D’Aubigné renforce alors ses défenses par 46 barricades avec de larges fossés. 

La flotte royale composée de 50 vaisseaux et de deux galères gagne Oléron et Saint-Luc débarque du côté d’Ors. Il forme sur le platin quatre bataillons d’un effectif total de 4 000 hommes, détache dans la campagne des éclaireurs et se dirige vers Le Château en deux colonnes, l’une le long de la côte, l’autre par le chemin de Dolus. 

D’Aubigné retarde leur avance en les harcelant à un quart de lieu du bourg et en tendant des embuscades dans les canaux et les marais salants. Néanmoins Saint-Luc arrive à progresser et force les huguenots à regagner leurs retranchements au Château. Les combats font rage à l’entrée du Château : les deux frères Gombeaudière, à la tête du régiment de Tiercelin, pénétrant dans la rue Neuve (actuellement rue Alsace-Lorraine) font tomber 28 barricades qui sont ensuite reprises par d’Aubigné puis à nouveau définitivement perdues. 

Le gros des assaillants, dirigés par Saint-Luc, attaque le bourg près de la maison du sieur d’Authon, seigneur du Château2, tandis qu’une autre troupe d’assaillants attaque les fortifications du côté Saint-Nicolas.3

En même temps, les galères qui entrent avec la marée dans le port du Château (actuellement le quartier des bassins) pilonnent les fortins élevés sur la côte mais doivent vite se retirer car les huguenots en s’avançant dans la mer tirent à bout portant sur les rameurs. 

Les combats meurtriers se poursuivent durant toute la journée avec des succès partagés. Au matin suivant, d’Aubigné ne tient plus que quatorze barricades, les blessés souffrent beaucoup faute de secours et de médicaments. Les ligueurs ont perdu 385 officiers et soldats, et d’Aubigné, protégé par ses barricades, a une perte moins considérable. 

D’Aubigné est sur le point de capituler lorsque Saint-Luc fait sonner la retraite, Pâques approche et une partie de ses troupes doit être congédiée, il retourne donc à Brouage avec sa garnison. 

Le roi de Navarre (futur Henri IV, encore protestant à cette date) vient le lendemain visiter Oléron et célébrer la victoire avec d’Aubigné. Cependant, la conquête du nouveau gouverneur d’Oléron est de courte durée : Saint-Luc, ayant appris que 300 des hommes de d’Aubigné avaient été envoyés sur le continent pour faire un coup de main sur Saintes, fait passer sur l’île un corps de 100 arquebusiers et débarque lui-même à Ors. 

Les combats reprennent de plus belle et, alors que les arquebusiers attaquent, d’Aubigné bravant tous les dangers se précipite contre eux « en chemise »4 . Malgré une résistance désespérée, il est fait prisonnier devant le surnombre des ligueurs. 

Saint-Luc emmène son prisonnier à Brouage, le roi Henri III (catholique) décide qu’il doit être transféré à Bordeaux pour y être exécuté. Saint-Luc s’apprête à obéir aux ordres lorsqu’il apprend que les Rochelais (protestants) ont fait prisonnier le sieur Guiteaux (catholique) et qu’ils menacent de le tuer si d’Aubigné était exécuté. Saint-Luc, heureux de cette nouvelle, renvoie les vaisseaux qui devaient emmener d’Aubigné à Bordeaux et rend la liberté à son prisonnier. Après la défaite de d’Aubigné, le roi de Navarre (futur Henri IV) convient avec Saint-Luc que l’île d’Oléron demeurerait neutre et les fortifications élevées au Château furent détruites. 

 

1 « Quatre voitures de vivres avec trois douzaines de faysants et des rafraichissements. »

2 En procédant à des travaux de terrassement dans une maison à l’angle des rues Alsace-Lorraine et du Temple, on a découvert deux anciens boulets de canon correspondant à ces combats : l’un de 130 mm de diamètre et de 7 kg, l’autre de 80 mm et de 1,85 kg. 

3 Ancienne chapelle fortifiée sur l’emplacement de laquelle paraît avoir été construit le bastion dit Saint-Nicolas situé à droite en entrant dans la citadelle. 

4 « A tous les combats d’Olléron Aubigné ne fut qu’en chemise, hormis deux fois qu’il prit un casque pour reconnoistre une approche. » (Histo univ)


Agrippa d’Aubigné (1552-1630) 

Né au château de Saint-Maury, près de Pons, en Saintonge, il fut un calviniste militant. 

Enfant prodige, il apprit le latin, le grec, l’hébreu, l’italien et l’espagnol. 

Pendant sa vie très longue et active, il fut à la fois un capitaine courageux et un poète engagé. De 1573 jusqu’en 1595 il se battit aux côtés du futur Henri IV. L’amitié entre le roi et le poète dura plusieurs années : Henri IV le nomma ainsi maréchal de camp en 1586, puis gouverneur d’Oléron et de Maillezais, puis vice-amiral de Guyenne et de Bretagne. Après la conversion d’Henri IV au catholicisme, Agrippa d’Aubigné, resté fidèle à la cause protestante, se mit à l’écart et se retira sur ses terres. Il prit part à la résistance des protestants contre Louis XIII. 

Il quitte la France en 1620 et meurt en 1630 à Genève où furent publiées toutes ses œuvres. 

Il eut pour petite-fille Madame de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV, lui-même petit-fils d’Henri IV… Admirateur de Ronsard, il écrivit de nombreux poèmes. Son chef-d’œuvre Les Tragiques (1616) est un poème épique de 9 000 vers lié à l’action du parti protestant au cours des guerres de religion. Il y dépeint la désolation de la France, la souffrance et les malheurs du peuple. Les Tragiques conserve la trace des visions d’horreur dont il fut le témoin. Il en appelle au jugement de Dieu pour trancher entre les Justes et les Méchants. 

 

 

Références 

• Jeanne Galzy, Agrippa d’Aubigné, Paris, Gallimard, 1965. 

• Armand Garnier, Agrippa d’Aubigné et le parti protestant : contribution à l’histoire de la Réforme en France, Paris, Fischbacher, 1928. 

• Madeleine Lazard, Agrippa d’Aubigné, Paris, Fayard, 1998. 

• D. Massiou, Histoire de la Saintonge et de l’Aunis 3e per. liv VII, p. 34, 35. 

• P. Thomas, La réforme dans l’ïle d’Oléron, H. Canon, 1911.

 

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